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L’insécurité généralisée préoccupe la banque centrale.



Pour la septième année consécutive, le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), M. Jean Baden Dubois, est intervenu à l’entrevue Leslie Delatour réalisée par notre confrère Kesner Pharel sur radio Métropole en date du 2 janvier 2023. Il en a profité pour faire le bilan financier de l’année écoulée et apporter des clarifications sur plusieurs points brûlants de l’actualité.


En tout premier lieu, il a tenu à remercier le Divin d’avoir protégé les employés de la BRH, du personnel de soutien aux directeurs, sans oublier les membres du conseil d’administration, qui ont fait preuve de résilience dans un environnement de travail extrêmement difficile. Des propos qui traduisent la préoccupation du gouverneur de la banque centrale par rapport à l’insécurité généralisée dans laquelle patauge le pays.


Rare institution publique qui s’accroche encore au centre-ville, la BRH se trouve en terrain hostile, au cœur du grand banditisme. Elle a d’ailleurs compté des victimes parmi ses cadres, comme c’était le cas de l’ingénieur électronicien Jacques Faubert Étienne qui a été tué par balle le mardi 22 février 2022 dans les parages de l’hôpital Saint-François de Sales au centre-ville de Port-au-Prince en sortant de chez lui. Le spécialiste en management des systèmes d’information essayait alors d’échapper à une tentative de kidnapping quand il a été abattu de dos par les malfrats.


M. Dubois se dit quand même très satisfait du fait que la BRH a pu garder ses portes ouvertes malgré vents et marées, y compris pendant toute la période « peyi lòk ». Il avoue que le jour suivant le début de cette éprouvante période, le mardi 13 septembre, la BRH avait payé 347 chèques, essentiellement aux policiers. Il remercie d’ailleurs la Police nationale d’Haïti (PNH) et les agents de sécurité de la BRH qui ont rendu possible cet objectif. « Si la BRH demeure encore au centre-ville, c’est parce que la PNH la supporte et qu’elle répond toujours aux sollicitations de la banque centrale en matière de sécurité.» Le gouverneur espère que 2023 sera bien meilleure que les trois années précédentes.


L’importance des réseaux sociaux

À l’heure de l’expansion des médias sociaux, la BRH est obligée de leur accorder une importance particulière, soutient le gouverneur. Elle met en place un service de veille sur tout ce qui se dit, tant dans les médias traditionnels que sur les réseaux sociaux, concernant le système financier. Par exemple, rapporte le gouverneur, ce service de veille a rapporté récemment au conseil d’administration, à partir des informations puisées sur les réseaux sociaux, qu’une des banques commerciales avouait qu’elle n’avait pas eu assez de gourdes pour satisfaire sa clientèle. La BRH, a-t-il poursuivi, a appelé la banque en question pour s’enquérir du problème et y apporter une solution.


La BRH apprend beaucoup des réseaux sociaux, confirme le gouverneur, qui avoue que gérer une banque centrale à l’heure des réseaux est très diffèrent de la gestion au temps de la prédominance des médias traditionnels. Les banques centrales considèrent aujourd’hui la communication comme un outil de politique monétaire à part entière. La banque centrale, indique le gouverneur, doit fournir la bonne information, apporter des clarifications quand c’est nécessaire et accorder une plus grande importance à l’éducation financière.


La BRH s’est dotée d'un studio pour réaliser beaucoup plus rapidement des capsules d’information en vue de contrecarrer la diffamation et la désinformation qui circulent sur Internet et sur les réseaux sociaux. Cette campagne de désinformation alimente la formation des anticipations négatives des agents économiques et influence souvent négativement leur comportement. Outre le site Internet (https://www.brh.ht/) que le gouverneur invite le grand public à consulter régulièrement comme source d’information de référence, la BRH est également présente sur Facebook, Twitter, Instagram et YouTube pour disséminer de l’information financière fiable.


Pas de problème de disponibilité de gourdes

Pour M. Dubois, il ne se pose aucun problème de disponibilité de gourdes, contrairement au dollar américain. Le vrai problème réside plutôt dans l’alimentation en gourdes des succursales des banques et institutions financières en dehors de la capitale, à cause du climat d’insécurité. Cet exercice auparavant simple devient un vrai parcours du combattant. « Outre le climat d’insécurité, il y a un problème d’assurance», indique M. Dubois, qui confirme que la BRH a dû intervenir au mois de décembre pour aider une institution financière à résoudre un problème de transport d’argent vers ses succursales en dehors de Port-au-Prince. Il en profite pour féliciter également les institutions financières qui se démêlent comme elles peuvent pour continuer à offrir leurs services au grand public malgré certaines attaques. Les services financiers offerts par ces institutions financières ont, révèle-t-il, une caractéristique de service public.


M. Dubois rappelle à la population que l’épargne sauvegardée par les banques commerciales et les institutions financières n’appartient pas aux propriétaires de ces institutions mais plutôt aux épargnants. Quand quelqu’un veut détruire une banque, prévient-il, ce ne sont pas leurs propriétaires qui seront les premiers perdants mais plutôt les déposants.


M. Dubois confirme que la BRH évolue dans un environnement extrêmement difficile. « Moi-même, personnellement, je n’aurais jamais imaginé voir cela de ma vie, autant de zones contrôlées par des bandits armés empêchant la libre circulation des biens et des personnes avec des impacts négatifs sur l’économie », a-t-il avoué. Un environnement qui a exacerbé les déséquilibres internes et externes de l’économie nationale. Pour les déséquilibres internes, M. Dubois mentionne surtout le financement monétaire par la création monétaire qu’il considère comme très nocive pour l’économie puisqu’il engendre de l’inflation et la dépréciation de la gourde. Au cours des trois dernières années, la BRH a clôturé les années fiscales avec un niveau de financement monétaire respectivement de 42,9 en 2019-2020, 49,5 2020-2021 et 49,2 milliards de gourdes en 2021-2022.


La masse monétaire a augmenté de plus de 30 %. La monnaie en circulation qui en est une composante importante est passée de 98 milliards au 1er octobre 2021 à 128 milliards de gourdes le 30 septembre 2022. En décembre 2022, on était déjà rendu à 132 milliards de gourdes de monnaie en circulation. Quand on met autant de monnaie en circulation sans une contrepartie au niveau de la production nationale, on aboutit à un niveau élevé d’inflation, nous apprend Irving Fisher à partir de son équation quantitative de la monnaie. La théorie quantitative de la monnaie est une théorie économique de causalité entre la quantité de monnaie en circulation et le niveau général des prix, y compris le taux de change qui est le prix du dollar américain par rapport à la gourde.


Les transferts de la diaspora en baisse en 2022

En ce qui a trait au déséquilibre externe, les importations s’élèvent à 5,4 milliards de dollars américains et les exportations se chiffrent à 1,35 milliard de dollars américains, soit une balance commerciale déficitaire d’environ quatre milliards de dollars américains en 2022. La valeur des importations a augmenté mais le volume des importations a diminué en 2022. Pour ne rien arranger, les transferts de la diaspora, qui généralement servent à compenser ce déficit, ont diminué d’environ 7 % pour s’établir à 3,7 milliards de dollars américains en 2022.

Deux principales raisons expliquent cette baisse. D’abord, l’inflation mondiale a réduit les capacités de la diaspora à envoyer de l’argent vers Haïti. Ensuite, des membres de la diaspora hébergent leur famille en République dominicaine pour fuir l’insécurité dans la capitale haïtienne. En conséquence, une partie des transferts sans contrepartie qui arrivait en Haïti se dirige plutôt vers la République dominicaine. Elle finance surtout les études universitaires, l’hébergement et la nourriture de ces Haïtiens qui fuient l’insécurité. Certaines universités privées en Haïti en font les frais et n’arrivent plus à couvrir leurs frais de fonctionnement.


Entre 37 et 40 % des transferts sans contrepartie d’Haïti vers l’étranger vont en République dominicaine, contre 35 % vers les États-Unis d’Amérique et le reste est redistribué aux pays étrangers, informe M. Dubois. Les transferts sans contrepartie d’Haïti vers l’étranger sont passés de 606 millions de dollars en 2020-2021 à 755 millions de dollars américains, soit une hausse de 25 %, selon les informations fournies par le gouverneur de la BRH.


Comme autres sources d’entrée de devises, les investissements directs étrangers (IDE) s’élèvent à seulement 29,2 millions de dollars américains en 2022. Avec la baisse des transferts de la diaspora et la chute des IDE, le dollar américain devient de plus en rare sur le marché local. En conséquence, le taux de change a augmenté de façon significative. Le taux moyen de change de référence de la Banque de la République d’Haïti est passé de 100,1 gourdes en décembre 2021 à 145,37 gourdes pour un dollar américain le 3 janvier 2023.


Par rapport à cette dépréciation importante de la gourde, certains observateurs préconisent la dollarisation complète de l’économie haïtienne. Une proposition jugée impossible par le gouverneur pour deux principales raisons: la loi l’interdit et l’économie haïtienne ne génère pas assez de devises américaines pour en faire la seule monnaie en circulation.


Peut-on s’attendre à un dollar à 200 gourdes en 2023? Le gouverneur de la BRH n’écarte pas un scénario à 125 gourdes pour un dollar non plus. Il mise surtout sur l’apport budgétaire des institutions financières internationales pour renforcer les réserves nettes de change. Le FMI prévoit de fournir 107 millions qui ne sont pas encore arrivés. La Banque mondiale et l’Union européenne comptent apporter des appuis budgétaires également. Si toutes les promesses sont tenues, les réserves nettes de change pourront passer au-dessus de 400 millions de dollars américains, prévoit le gouverneur. La BRH serait alors beaucoup mieux équipée pour faire face aux éventuelles attaques spéculatives, comparé au montant de 142,1 millions de dollars américains de réserves nettes de change enregistrés au 30 septembre 2022.

Thomas Lalime

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